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7 mois de grève à La Poste de Rivesaltes - Interview d’un facteur gréviste : « On a gagné ! Une détermination et une unité sans faille »

Entretien. Alors que le protocole de fin de conflit vient d’être signé, nous avons demandé à Alexandre Pignon (à droite sur la photo avec ses collègues lors de la manifestation du 28 juin contre la « Loi Travail »), militant CGT, mandaté CHSCT et cible de la répression patronale, de revenir sur cette grève, la plus longue de l’histoire de La Poste.

Une grève historique. 215 jours. Une détermination exemplaire. Comment avez-vous pu tenir aussi longtemps ?

Oui, une détermination et une unité des collègues sans faille. On a été 12 à partir et 12 à rentrer. Une colère accumulée pendant des années face à une politique d’entreprise, de rentabilité, et qui s’était déjà exprimée dans deux journées de grève, où on avait gagné. Ce qui a permis de construire le rapport de force nécessaire pour partir en grève illimitée. Un collectif de lutte, se réunissant tous les jours, exprimant les besoins et la volonté des collègues, prenant les tâches et les décisions ensemble. La démocratie salariale a été appliquée de bout en bout.

Aussi, une unité SUD-CGT qui a très bien marché. Une solidarité de classe. Celle apportée, notamment financière, par la CGT, Solidaires, la CNT. L’interpro, avec des rencontres avec les autres corps de métier : cheminots, hospitaliers… Avec la participation aux actions contre la loi Travail. Le soutien des usagers, des petits commerçants qui nous ont donné des lots pour les tombolas… A noter le soutien des Dragons catalans et de l’USAP [les équipes de rugby de Perpignan]. Des soutiens de poids de personnalités : Bernard Thibault, Pierre Laurent, Olivier Besancenot, intervenu en solidarité à Télématin et chez Ruquier. Ce qui a permis un rayonnement médiatique national et pesé sur la direction de La Poste.

Peux-tu rappeler vos revendications à l’origine de la grève ?

La principale : l’emploi. Fin 2015 est annoncée une nouvelle réorganisation, encore plus destructrice que la précédente. Alors qu’on avait des tournées qui explosaient et qu’il nous était déjà impossible de faire notre travail correctement. Il nous faut de l’embauche. On a vu défiler des CDD, des intérimaires – dégagés comme des kleenex. Une précarité institutionnalisée : 20 à 25%. En parallèle, la mise en place de facteurs-guichetiers impliquant une restriction des heures d’ouverture des bureaux … Une attaque contre le service public – un service public de qualité et de proximité, particulièrement nécessaire dans ce département [Pyrénées-Orientales] - auquel nous sommes attachés et pour lequel nous étions conscients de nous battre aussi.

Qu’avez-vous arraché ?

Le maintien des tournées et même la création d’une tournée supplémentaire, effectuée par des CDI, pour pallier au dépassement de charge de travail ou d’horaire. Tous les postes vacants seront comblés. La CDIsation d’un collègue en CIE, un « contrat aidé ». Par ailleurs, La Poste avait embauché des intérimaires à l’origine pour casser la grève – ce qui est illégal – pour une période d’essai de 3 mois. Comme la grève a duré plus, La Poste a dû les embaucher en CDI ! Principal bilan de la grève, direct ou non, entre 13 et 15 emplois sauvegardés ou créés dans le département. L’ultime point de négociation a été la question du paiement des 49 jours dits de négociation, sur lequel la direction vient de céder…

Quelle appréciation globale as-tu de l’accord que vous venez de signer ?

On a gagné ! Et, comme on aime à le dire, ce n’est pas La Poste qui a accepté de signer le protocole de fin de conflit, c’est nous. C’est nous qui avons mis nos conditions et qui sommes arrivés à chaque fois là où on voulait. On nous a dit : « Vous êtes jusqu’au-boutistes ». Nous les avons fait démentir. On a prouvé que ce qui nous portait c’est notre détermination. On a su la maintenir parce que l’on a su maintenir le collectif.

Mais le bilan de la grève, c’est avant tout un bilan humain. Ca, tu ne le sais pas tant que tu ne l’as pas vécu. Ca génère beaucoup d’émotion. Une formidable aventure humaine de solidarité, dans laquelle nos familles aussi ont été partie prenante.

Alors que la « réorganisation » contre laquelle vous vous êtes battus frappe l’ensemble de La Poste, les ripostes restent assez dispersées. Pourquoi ?

La conscience n’est pas la même partout. On réagit quand on est attaqué. Et La Poste, dans sa stratégie pour nous isoler, a bloqué toutes les réorganisations.

Comment arriver à coordonner les luttes ?

C’est la réponse syndicale. C’est là où on doit être organisé. A Rivesaltes, on a su s’organiser et créer les convergences. A la CGT, on parle beaucoup de syndicalisme rassemblé mais il faut commencer par être rassemblé avec les salariés. Quand on l’est, soit on a les syndicats rassemblés pour lutter soit non, et les salariés alors voient bien les différences entre syndicats.

Néanmoins, par ricochet, quelques bureaux ont rejoint la lutte. St-Laurent-de-la-Salanque a déposé un préavis de grève pour obtenir un poste réclamé depuis 6 mois. Avant même qu’ils se mettent en grève, La Poste le leur accordait… Thuir, qui avait déjà fait grève pendant 3 mois contre une réorganisation [qui a été reportée], nous a rejoints pendant une semaine, arrachant la CDIsation de trois CIE. Toulouges, avant même le dépôt du préavis de grève, a obtenu des embauches. Etc. Donc un rayonnement de notre grève dans le département mais au-delà, par exemple avec des bureaux de Montpellier en grève aussi.

Comment s’est passée la reprise du travail ?

Comme on a gagné, ça nous porte. Les collègues sont hyper motivés. Déjà pour faire appliquer le protocole. Donc maintenir le rapport de force au quotidien. Le jour de la reprise, la direction a déjà tenté, contrairement au protocole, d’imposer des congés aux grévistes. Elle m’a aussi interdit l’accès aux locaux, alors que je suis mandaté CHSCT, s’arrogeant le droit de m’enlever un droit. Elle a dû faire machine arrière sur ces deux points.

Tout au long du conflit, la direction de La Poste s’est comportée comme un patron de choc, bien dans le moule du néolibéralisme, antisocial mais aussi antidémocratique. Elle a multiplié provocations et mesures répressives…

La CGT est l’ennemi à abattre. Un directeur d’établissement a simulé une agression pour tenter de faire licencier un camarade CGT d’une agence d’intérim venu défendre les intérêts des intérimaires de La Poste. Nous, on n’a jamais été en opposition avec eux. Au contraire, on leur a montré que notre lutte les concernait aussi. Que l’on se battait pour créer de l’emploi.

Toi-même as été menacé de deux ans de mise à pied et es passé devant le conseil de discipline. Où cela en est ?

D’abord, menace de révocation. Après, demande d’une mise à pied de 24 mois. Puis de 18 mois. Et finalement, la sanction prononcée est de 3 mois, dont un avec sursis. Là aussi, on a pu prouver que l’action collective peut faire plier La Poste. On va continuer à se battre pour que je sois rétabli dans mes droits. On envisage un recours devant le Conseil supérieur de la Fonction publique, le tribunal administratif, voire aller au pénal parce qu’il y a eu faux témoignage, dénonciation calomnieuse, harcèlement…

Donc, la lutte continue…

Cet interview sera publié dans L’Anticapitaliste n°345 (14/07/2016)


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